Courir. C’était cela, ma seule pensée… Le salut dans la fuite, très loin, comme dans les temps jadis de mon enfance sauvage, parce que cela n’était rien d’autre que l’enfance qui, brusquement, ressurgit. Les gens m’écœurent, et comme je ne peux pas les changer, que puis-je faire sinon les fuir, m’en éloigner autant que possible ? Peut-être suis-je, cette fois, allée un peu trop loin, dans la course comme dans les actes. J’ai cru, durant quelques instants, que la voie vers le chemin vers la liberté n’avait pas de barrières, et qu’on pouvait prendre des raccourcis. Le problème, c’est qu’il y a trop de culs-de-sac, et on s’arrange toujours pour vous remettre sur la mauvaise voie. Ils m’ont coincée tout à l’heure, mes deux aînés exemplaires, ma sœur Angela et mon idiot de frère, Maithias. Qui, au demeurant, ne faisait office que de gardien de la force physique. Ils savaient bien que je ne pouvais rien faire, que je devais les écouter. Je me demande s’ils agissaient sur ordre de mes parents, ou s’ils sont si bien noyés dans les préceptes de notre jolie famille qu’ils prennent désormais des initiatives. Il faut dire que ma sœur, depuis quelques temps, prend de plus en plus de décisions. je pense d’ailleurs que ça finira par une catastrophe. Et donc, cet après-midi, ils sont arrivés sur moi, soudain, me disant qu’ils voulaient me parler. J’ai eu beau leur objecter que je ne voulais pas, et que, si possible, j’aurais même bien aimé n’avoir plus jamais à leur adresser la parole, ils ont insisté. Comme ils semblaient assez énervés, j’ai dû les laisser faire. Ce qu’ils m’ont dit… Ma foi, je n’ai pas vraiment tout noté, mais c’est vite devenu assez violent. Ma sœur sait être très méchante, quand elle veut, et elle était persuadée que tout devait être tenté pour me remettre dans le "droit chemin", comme elle appelle cela. Elle a commencé par m’informer que, même si je m’étais arrangée pour trahir mon sang et toutes les valeurs de la famille, je restais une O’Donnell, et qu’en cela, elle avait une certaine responsabilité, et une certaine autorité sur ma personne. Vous le concevez bien, je lui ai répondu comme il le fallait, à savoir que désormais, moi seule décidais de la voie que je désirais suivre. Voyant là la confirmation de la gravité de mon cas, Angela m’a affirmé que mes parents n’ignoraient rien de mon comportement, et que bien que résignés devant ma méchanceté et ma désinvolture face à toute forme d’éducation, ils feraient le nécessaire pour que m’empêcher de continuer d’entacher le nom d’O’Donnell. Cela continua assez longtemps, et je me résignai à écouter ce plaidoyer durant des heures. C’était extraordinairement répétitif. J’ai eu le temps de réfléchir à quelques phrases célèbres pour caractériser ma situation _ c’est une de mes activités dans mes instants de plus profond ennui _ et c’est après avoir choisi comme la plus adaptée une phrase de Stendhal qui traitait des discours longs et vides, je me suis que c’en était assez, et que cette pimbêche était en train de me faire perdre un bel après-midi, l’un de mes premiers après-midi de liberté, et qu’il fallait que je lui montre à quel point ses paroles étaient inutiles. Ca a un peu fusé tout seul, un trait libérateur.
- Bon, je vois que tu as bien appris ta leçon… Mais ma réponse est définitive : je suis libre, et je ne vous écouterai plus. Il faut que tu te mettes ça dans la tête : ça n’est pas pour rien que je n’ai pas été envoyée dans votre sale Maison d’hypocrite. Tu ne m’embrigaderas plus, Angela.
Je savais bien que l’insulte à la Maison, ajoutée à un ton si catégorique, ne pourrait pas lui plaire. Ce fut effectivement le cas, et on en vint bientôt aux cris, et la voyant même en un instant porter la main à sa baguette, je lui hurlai une remarque sur son physique, je crois qu’il s’agissait de ses boutons, car je savais que c’était l’une de celles qui la faisaient le plus souffrir, et, sortant ma baguette, je hurlai, sans réfléchir réellement :
- Furunculus !
En fait, je voulais simplement la faire taire, qu’elle me laisse tranquille, d’une façon ou d’une autre, et j’avais vu ce sort évoqué dans un vieux bouquin. Il m’avais semblé amusant, et j’avais retenu le nom. Evidemment, ça n’a pas très bien marché, je n’ai pas un entraînement ni une capacité suffisante en magie pour réussir un sort du premier coup, comme ça. Mais tout de même, je suis sûre d’avoir vu un ou deux de ses affreux boutons grossir un peu. En fait, l’important n’était pas que ça marche ou pas, la seule chose qui comptait, c’était le regard de ma sœur, horrifié et stupéfait que j’aie osé faire ce genre de chose. je crois qu’elle ne m’imaginait pas aussi odieuse. A vrai dire, moi non plus, je ne pensais pas. Je m’étais toujours dit que la magie n’était pas une solution pour régler ce genre de problèmes, et je m’étais juré de ne jamais me laisser emporter de la sorte. Du sang-froid, dans l’exercice de la magie tout du moins, c’était l’un de mes plus grands préceptes. Raté, le précepte, et trahis les idéaux. D’un seul coup, je me suis sentie submergée à la fois par la honte, et aussi par la peur. Ce que je voyais dans le regard de ma sœur ne me disait rien de bon. Elle se vengerait, c’était certain. Alors j’ai tout oublié, j’ai tourné les talons et je me suis mis à courir. Sans but, effarée seulement par la violence sans limite que je venais de percevoir dans la révolte qui m’étais chère, je courais tout droit, je ne sais pas réellement pendant combien de temps. Mais j’ai fini par m’arrêter. On était peut-être au milieu de l’après-midi, je ne savais pas trop, mais une chose seule était sûre : j’ignorais où je me trouvais. Ce qui m’inquiétait, c’est qu’il y avait des arbres, beaucoup d’arbres autour de moi, ce qui me laissait soupçonner que je me situais dans la Forêt Interdite. Or, dans Forêt Interdite, il y a certes le mot forêt, mais il ne faut pas oublier le second : Interdite. Ce qui amenait deux conséquences. Déjà, si la forêt est interdite d’accès, il y a une raison : ça peut être dangereux, et des bestioles de toutes sortes étaient peut-être en train de m’épier, se réjouissant d’avance d’un peu de chair fraîche. Mais pire encore. Si la forêt était interdite, cela signifiait que je n’avais pas le droit d’être là, et que jeter un sort à sa sœur, puis aller dans un lieu interdit, ça pouvait être très embêtant pour ma situation : je me demandais si l’on n’avait pas renvoyé des gens de Poudlard pour moins que cela. Mon nom entrerait assurément dans l’Histoire : l’exclusion la plus rapide ! Une semaine à Poudlard, et exit de Gareich ! N’est-ce pas merveilleux ? Bah, on pouvait aussi regarder les choses sous un œil positif : après ça, mes parents me renieraient sans le moindre doute, ce qui me donnerait au moins ma liberté. Ce que j’en ferais, la question restait à démêler.
Mes réflexions s’interrompirent là, car je vis une vieille dame à l’air sévère, qui si ma mémoire était bonne était le professeur Mc Gonnagall, c’est-à-dire la directrice de cette foutue Maison de Gryffondor, arriva bientôt. Comment elle m’avait retrouvée, je l’ignore. Elle me dit de la suivre, d’une voix sèche, et, me sentant soudain très timide, je la suivis presque sans mot dire. Je lui demandais simplement ce qu’il allait advenir de moi. Elle me répondit d’une voix sèche qu’elle m’emmenait voir le Directeur. Je réfléchis en chemin sur le comportement à adopter. J’avais un peu honte de mes actes, mais il ne fallait pas le montrer. C’était une question d’honneur : je devais assumer, déjà, et puis d’abord, ma sœur était si odieuse qu’elle méritait bien cela. Elle doit comprendre que je suis un individu libre, et que je n’accepterai pas que papa et maman m’imposent leur manière de penser. Je fixai donc le Directeur d’un air de défi tandis que le professeur de Métamorphose lui résumait mes "exploits" de l’après-midi. J’étais bien décidée à ne lâcher aucun mot de regret ni d’excuse devant ce vieux gâteux. Il pourrait bien essayer de me moraliser...